L’histoire du maquis de Saligney racontée 50 ans après la tragédie par les anciens du village

Le 11 juin 1994, nous avons jugé bon de réunir en Mairie les personnes de Saligney susceptibles de nous apporter des informations sur les faits précis du Maquis de Saligney, afin que ces témoignages restent une page d’histoire au village.

Présents : Abbé Alphonse Lavry – Paul Lavry – Alphonse Mercier – Jules Vincent – Evelyne Bulle née Jean – Aristide Jean

Sous la houlette de Roland Dodane, Maire.

Quand est-ce que le Maquis aurait commencé ?

Aristide se souvient avoir monté du matériel pendant les foins.

Paul a entendu construire mi-juin.

Jules se souvient que quelques jours après le débarquement, le Maire, Francis Jean a demandé des tôles aux gens du village ; entre le 6 et le 10 juin.

L’Abbé Lavry l’a appris tardivement.

Les actions

Le Maquis :

– n’a pas participé au déraillement du train de Rochefort.

– aurait, on ne peut pas l’affirmer, fait sauter le château d’eau de Lavans.

– aurait fait sauter la voie ferrée à Orchamps (témoignage de Paul Lavry qui se souvient que M. Targuis et Joseph Poncelin étaient vexés devant cette indiscrétion).

Ravitaillement

Ils donnaient leurs tickets de ravitaillement à Fernande Bouquerand qui faisait leurs courses. Francis Jean, le Maire et Aristide leur remontaient les courses. Ils venaient au lait chez tous les cultivateurs au village.

Reconnaissance

Le 14 juillet, Paul qui était avec Joseph Poncelin affirme avoir entendu des tirs à la mitraillette toute la journée. Tous les témoignages confirment des imprudences réelles et constatées du manque de discrétion.

Il a été remarqué que des avions tournaient tous les jours en reconnaissance. Il reste des présomptions sérieuses de dénonciation qui restent indéfinies.

Des officiers allemands auraient demandé dans le pays (entre-autre chez Tibert) s’il y avait de la résistance dans le pays ; les « gosses » auraient répondu : « pas beaucoup ».

Première attaque le 22 juillet 1944

Le samedi 22 juillet, veille des communions, les Allemands sont venus jusqu’au pied du Bermond, sur la route de Thervay, sur la route d’Ougney….

Jules Vincent allait chercher 22m3 de chêne à la Reime pour les emmener à la scierie à Mercey. Alors qu’il attelait, il a vu deux ou trois Allemands sur la route d’Ougney (à la hauteur de chez Bosc). Inquiet de cette présence, il dételle ses chevaux, prend une faux et s’éloigne en direction de la rue basse. Il repère d’autres Allemands : un en face de chez Olivier (maison Guy Lavry), un vers chez Monnier (maison Michelin).

Il se dirige ensuite « au breuil », à la source, où il fait semblant de faucher. Depuis ce poste il voyait des Allemands « aux champs perdus ». Il l’a dit à M. Frot ; Francis Jean lui en a parlé également le lendemain dimanche à la messe de Saligney.

Se sentant repérés, on suppose que les maquisards prenaient leurs dispositions pour se sauver. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ? Paraitrait qu’ils attendaient un parachutage ? L’Officier Piot fut arrêté et déporté trois jours avant le 27…

La consigne : rester deux jours sans causer.

Journée du 27, un jeudi

C’est tôt le matin, vers 6h (voir même 4h) que les Allemands se positionnent pour cerner le village.

Vers 7h : arrivée des Allemands dans le village. Jules entend deux camions qui s’arrêtent sur la route d’Ougney. Une ruée d’Allemands vient en courant vers chez eux (Jules se croyait pris en tant que réfractaire), puis se dispersent. Il en a vu descendre au Près Jacquin (jardin Gillet) pour se diriger sur Thervay. On saura plus tard que toutes les routes étaient cernées jusqu’à Gendrey et Taxenne.

Un quart d’heure après, Langlais de Dole, descend, menacé à la mitraillette pour aller plus vite, et dit à Jules qu’il était réquisitionné pour les transporter. Il dit également qu’ils viennent du Maquis, et qu’ils les ont vu se sauver. Ils sont attendus aux routes.

Affolement et inquiétude au village

Jules reprend sa faux et repart à la rue basse. Alphonse Mercier s’installe au grenier, Aristide va derrière la vieille église, l’Abbé Lavry faisait des liens chez son frère Maurice et la Linette est restée chez elle. La panique était même dans le cœur des enfants : l’Abbé Lavry se souvient d’un petit « Verniseau » qui lui tendait la main pour se sentir rassuré. Dans la journée, Mix, Paul, Pierrot, Jules se retrouvent au grenier chez Mercier pour voir depuis la lucarne. Depuis derrière chez Paul on entendait et voyait la mitraillette.

Ils ont vu venir une colonne de la route de Thervay. Ces hommes marchaient sur la route, tenus deux à deux par une ceinture. Les Allemands détenaient 13 maquisards qui portaient un allemand tué, enveloppé dans une toile de tente, Arrivés à la hauteur du croisement ils firent aligner les 13 maquisards devant la porte de grange de chez Faivre (Curie actuellement). A ce moment-là, Andrée Mercier est passée en bicyclette. Le père Faivre est sorti leur proposer à boire.

Puis ils sont repartis à la lisière du bois de la Reime, sur Thervay. Un moment après on a entendu les décharges : on en a compté 8. On apprendra après que 7 sont morts, le huitième a seulement eu le doigt coupé (Durand). Il a pu dire après, que les Allemands leur avaient dit « Vous êtes libres », et quand ils ont fait quelques pas ils leur ont tiré dessus.

Dix minutes après, les Allemands en ramènent 5. Les remontent au Maquis.

Des Allemands se rendent. Effectivement Gaston Gensbittel, Pierrot et Aristide en ont croisé deux le long du ruisseau. Quatre maquisards seront tués au Maquis, le cinquième : Lacroix s’est enfui.

Les Allemands sont partis le soir. Linette les a vu descendre à la tombée de la nuit, en fête et saouls.

Le 28 juillet, tôt le matin, Francis Jean a eu des ordres : téléphone chez Linette

« Ici la kommandantur, il faut appeler le Maire » Francis est venu.

« Nous avons tué 24 personnes à tel et tel endroit…, et au Maquis.

Pour votre représaille vous les enterrerez. »

Puis on a entendu une voix qui disait :

« Le Maire savait très bien ou était le Maquis puisqu’il ne demande pas où il est.»

Dès le lever du jour, les corps ont été vus. Ce jour-là, l’Abbé Lavry allait à la messe à Thervay. Des draps ont été demandés dans toutes les maisons du pays pour envelopper les corps. Ils ont tous eu un drap.

Les corps ont été ramassés : 13 sur Thervay, ont été ramenés sur un grand plateau. C’est un spectacle épouvantable de corps ballotants, défigurés, jusqu’à voir un cerveau sorti de la boite crânienne, remis et refermé par un lacet de soulier.

Ils ont été déposés à l’église. L’abbé Lavry repère et note des signes de reconnaissance : galoches de bois, tricot rouge, cheveux noirs, dents argentées… un était pieds nus.

Le ramassage et le numérotage se terminent dans l’après-midi à la route d’Ougney ou 3 avaient été fusillés à la traversée de la route.

24 cercueils sont conçus par les menuisiers du coin. Jules va aider Bardouillet. Mme Cécile Perrin vient reconnaitre son fils au doigt coupé le matin.

Les parents Lebois arrivent l’après-midi.

Enterrement : samedi 29 juillet l’après-midi

Tous les hommes du village, et même ceux de Serre creusent la fosse au cimetière. Ce sera fini de creuser pendant l’office. C’est Flavien Migeon-Berthet qui a pris l’initiative de définir le carré. C’est l’Abbé Bonjour, Curé de la Paroisse qui célèbre.

Les cercueils sont alignés dans le fond de la fosse. Le Père Doret avait fait des plaques de cuivre pour identifier les cercueils. 11 sont placés dans le 1er rang près du mur. Un plan est constitué pour préciser les emplacements, et Jules amène 20 liteaux avec des numéros. Lors de la cérémonie au cimetière, un drapeau bleu, blanc, rouge est dressé.

Pour descendre les cercueils, tout le monde s’y met. Les hommes de Thervay et Ougney sont venus aider.

Le lendemain, dimanche, c’est un pèlerinage incessant.

Les hommes continuent les recherches, retournent jusqu’à Taxenne pour voir s’il ne reste pas des corps. Ils ont vu des containers à balles, des munitions. Il se dit que la nuit du 28 au 29 un Maquis de Haute Saône est venu récupérer des armes à la grotte. Des armes sont restées longtemps aux mines d’Ougney.

Le 1er août : Chez Linette faisaient les moissons à la Reime et ont remarqué une mauvaise odeur. Avec son père : Francis Jean, ils ont trouvé le corps de Benissa avec toutes ses munitions. Ils sont allés le chercher avec l’Abbé Lavry. Le corps a été déposé à droite de l’entrée de l’église le soir du 1er août à l’emplacement de l’ancien cimetière.

L’enterrement aura lieu le 3 août.

Le dimanche 7 août : Mauvaise odeur au Maquis : on retrouve Labourey dans les ronces. On ne se rappelle pas de son enterrement.

Il y a eu un anniversaire le 27 septembre 1944. Une foule innombrable s’est déplacée ; des groupes de maquisards sont venus (produit de la quête 5113F).

Il ne reste aujourd’hui que 3 ou 4 corps au cimetière de Saligney.

Le cinquantième anniversaire est célébré cette année le dimanche 24 juillet 1994.

Compte-rendu rédigé en 1994 – Correction coquilles en 2024